Assemblée : Éric Dupond-Moretti défend son projet de loi "pour une Justice plus rapide et plus efficace"

Actualité
Image
Le palais de justice de Paris
Le palais de justice de Paris (© Wikimedia)
par Raphaël Marchal, le Lundi 3 juillet 2023 à 08:30, mis à jour le Lundi 17 juillet 2023 à 12:07

Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice, examiné à l'Assemblée nationale à partir du lundi 3 juillet, prévoit un budget en hausse, qui passera d’environ 9,6 milliards en 2023 à près de 10,8 milliards en 2027, permettant notamment le recrutement de 10 000 nouveaux agents (magistrats, greffiers, surveillants de prison). 

Ce n'est pas une, mais deux lois portant sur la justice qui sont examinées à partir de ce lundi 3 juillet dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Les députés se pencheront en premier lieu sur le projet de loi "d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027". Comme son nom l'indique, le texte définit le cap et les crédits de la place Vendôme jusqu'à la fin du quinquennat.

Le texte concrétise les annonces de l'exécutif à l'issue des États généraux de la Justice, dans le cadre "plan d’action pour une Justice plus rapide et plus efficace", présenté par Éric Dupond-Moretti en janvier dernier. Promettant de sortir l'institution de son "délabrement", le garde des Sceaux met en avant l'effort budgétaire qui sera réalisé au cours des prochaines années. Après être déjà passés d'environ 8,9 milliards en 2022 à environ 9,6 milliards en 2023, les crédits de son ministère s'élèveront à près de 10,8 milliards en 2027. 

Cette augmentation doit à la fois permettre de revaloriser les salaires des agents, magistrats en premier lieu, mais également de procéder à des recrutements. Quelque 10 000 agents doivent ainsi garnir les rangs d'une institution en déshérence, dont 1 500 magistrats et autant de greffiers. Selon le ministre, une "équipe" sera bâtie autour des magistrats pour les épauler.

Du côté de l'administration pénitentiaire, de nouveaux "surveillants pénitentiaires adjoints" seront recrutés, tandis que la réserve civile pénitentiaire sera étendue aux personnels retraités, notamment. Lors de l'examen du texte en commission des lois, ces deux mesures ont été critiquées par les élus de gauche, ces derniers déplorant un succédané de politique de recrutement. Un échange houleux a eu lieu entre Andrée Taurinya (La France insoumise) et Eric Dupond-Moretti au sujet de la réserve et des retraités poussés, selon la députée, à travailler jusqu'à 67 ans, "pas par plaisir, mais parce qu'ils n'arrivent plus à remplir leur frigo". "Quand-est ce que vous allez laisser les gens faire ce qu'ils veulent ? [...] Celui qui va dans la réserve, c'est qu'il a envie d'y aller", lui a rétorqué le ministre. 

Le texte entérine également la poursuite du plan de construction des 15 000 places de prison promises par Emmanuel Macron, les députés de la Nupes plaidant quant à eux, sans succès, pour introduire un mécanisme de régulation carcérale.

L'activation d'objets connectés à distance fait débat

Un autre sujet contenu dans le texte a animé les débats en commission. Le projet de loi modernise en effet certaines techniques d'enquête. Le projet de loi permet au juge d'autoriser les enquêteurs à activer à distance un téléphone portable, sa caméra et son micro pour géolocaliser ou procéder à des écoutes de personnes dans certaines affaires. Le texte initial autorisait ces techniques dans les affaires de crimes ou délits punis d'au moins cinq ans de prison, ainsi que dans les enquêtes relevant du terrorisme ou du crime organisé. 

Lors de l'examen du projet au Sénat, la géolocalisation à distance a été limitée aux infractions punies d’au moins dix ans de prison. L'écoute ou la captation de la caméra du téléphone sera en outre interdite pour les personnes qui résident ou travaillent dans certains lieux (cabinet ou domicile d’un avocat, cabinet d’un médecin, locaux d’une entreprise de presse, d’une juridiction…). A l'Assemblée nationale, le gouvernement veut rétablir le seuil des cinq ans. 

En commission, au sujet de la géolocalisation, Roger Vicot (Socialistes) et Andrée Taurinya (La France insoumise) ont dénoncé une "intrusion très importante dans la vie privée des personnes visées et de leur entourage". "Est-ce que, parce que notre technologie permet certaines avancées, nous sommes obligés d'aller aussi loin et de prendre des mesures aussi attentatoires aux libertés ?", a questionné Emeline K/Bidi (Gauche démocrate et républicaine).

La majorité présidentielle et l'exécutif ont en réponse souligné que la mesure existait déjà : il ne s'agit, selon eux, que de remplacer une technique obsolète, la pose de balises, qui présente un risque important pour les policiers. "Qu'est-ce qu'on fait ? On abandonne ces techniques d'enquête qui ont fait leurs preuves ? On n'est pas dans le complot", a commenté le garde des Sceaux. Ce n'est "pas Big Brother", a renchéri l'un des rapporteurs du texte Erwan Balanant (Démocrate), soulignant que seules les affaires "les plus graves" sont concernées, soit "quelques dizaines" seulement, et que l'approbation d'un juge sera indispensable.

Un débat similaire a eu lieu concernant l'activation à distance de téléphones portables dans l'objectif d'enregistrer des images et des sons, réservée aux affaires de terrorisme et de criminalité organisée, qui devrait concerner une quinzaine de cas par an, selon Erwan Balanant (Démocrate). Là encore, des députés de la Nupes se sont opposés à cette disposition. Et là encore, exécutif et majorité ont expliqué qu'il s'agissait de moderniser une technique devenue archaïque et dangereuse, la "sonorisation", qui nécessite une visite des policiers.

Une réécriture du code de procédure pénale

Plus largement, le projet de loi procède à une série d'ajustements à l'apparence technique, mais qui serviront à améliorer, au quotidien, le fonctionnement de la Justice. Il en va ainsi de la réécriture, par voie d'ordonnance, du Code de procédure pénale. En parallèle, la procédure pénale sera simplifiée - recours étendu aux perquisitions de nuit, prolongation simplifiée de la garde à vue... -, et l'incitation à recourir à la peine de travail d'intérêt général poursuivra sa montée en puissance.

Des dispositions relatives à la justice civile, aux magistrats administratifs et financiers et aux professions judiciaires - particulièrement les avocats - sont également recensées. Un pan du texte est par ailleurs consacré à la justice commerciale, avec l'expérimentation de tribunaux des activités économiques. Le projet de loi comporte également un rapport annexé, qui définit les grandes orientations du ministère. Ce document porte notamment l'engagement de mettre en place des pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intra-familiales, suivant ainsi les recommandations du rapport de la députée Émilie Chandler (Renaissance) et de la sénatrice Dominique Vérien (Union centriste).

Réformer le statut des magistrats

Outre le projet de loi d'orientation et de programmation, les députés examineront un projet de loi organique, destiné à réformer le statut des magistrats. Il simplifie l'accès à la magistrature, notamment afin de diversifier le profil des candidats. Ainsi, les personnes ayant une expérience professionnelle antérieure adéquate - comme les avocats - pourront plus facilement intégrer la profession.

De manière plus générale, c'est une petite révolution qui se prépare pour les magistrats, avec de nouvelles conditions de recrutement, d’évaluation, d’avancement, de représentation et de dialogue social. Enfin, le parcours des justiciables auprès du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) en cas de recours sera simplifié. Et les pouvoirs d'investigation du CSM seront renforcés.

Les deux projets de loi seront inscrits à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale cette semaine et jusqu'en début de semaine prochaine.