Phytosanitaires : le constat d'une action publique insuffisante, au terme des travaux de la commission d'enquête

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par Léonard DERMARKARIAN, le Vendredi 15 décembre 2023 à 11:36

La commission d’enquête "sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires" a adopté son rapport jeudi 14 décembre. Le rapporteur de la commission, Dominique Potier (Socialistes), et le président de la commission, Frédéric Descrozaille (Renaissance), pointent notamment un défaut de "pilotage interministériel puissant".

"Une décennie (presque) perdue" : tel est le constat exprimé lors d'une conférence de presse par Dominique Potier (Socialistes), le rapporteur de la commission d'enquête "sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire".

Peu après l'adoption à huis clos du rapport de la commission par ses membres (18 votants, 10 "pour", 4 "contre", 4 abstentions), jeudi 14 décembre, le rapporteur et le président de la commission d'enquête, Frédéric Descrozaille (Renaissance), ont présenté les conclusions globales de quatre mois et demi de travail, après plus de 150 heures d'auditions et 100 personnes auditionnées. Le rapport complet sera publié jeudi 21 décembre. Sans attendre, un document de synthèse préparé par Dominique Potier pointe "un échec collectif à réduire notre empreinte chimique" et insiste sur l'"urgence à agir"

Malgré des différences dans les préconisations, président et rapporteur de la commission se sont accordés sur un constat : l'insuffisance des politiques menées pour maîtriser l'usage des pesticides et leur impact depuis la fin des années 2000.

Pesticides : "même niveau" qu'en 2009

En 2008, à la suite du Grenelle de l'Environnement, le gouvernement Fillon lance le plan "Ecophyto", visant à réduire de 50% l'usage des pesticides d'ici en dix ans, d'ici 2018. Or, malgré la succession des plans Eco phyto II en 2015 et II+ en 2019, "les indicateurs sont au même niveau qu'en 2009", selon un dossier de presse produit par le rapporteur à l'occasion de la conférence de presse - un constat s'inscrivant dans le fil d'un rapport de la Cour des Comptes de 2020, estimant que "ces plans n'[avaient] pas atteint leurs objectifs".

Malgré cela, le rapport s'attache à souligner des "avancées positives" durant la décennie écoulée, notamment par un "effort de recherche inédit" à l'échelle française et européenne, la création d'un fonds d'indemnisation des personnes victimes de produits phytosanitaires par la loi de financement de la Sécurité sociale de 2020 et, surtout, "le retrait de la grande majorité des molécules les plus toxiques" - "autant de points d'appui" pour le prochain plan Ecophyto 2030, actuellement en discussion.

Une politique "mal évoluée, mal pilotée"

Président et rapporteur de la commission d'enquête ont mutuellement souligné une défaillance structurelle dans l'élaboration de la politique de réduction des pesticides : l'absence de pilotage ministériel efficace depuis le premier plan Ecophyto. Pour Frédéric Descrozailles, "on sait très, très mal faire de l'interministériel", notamment en raison d'un fonctionnement des ministères et des administrations centrales "en silos".

Un constat partagé par Dominique Potier, jugeant la politique menée "mal évaluée, mal pilotée", en raison d'un manque de "cohérence" et d'"injonctions économiques contradictoires", menant, selon le député socialiste, à "une forme d'impuissance publique".

"Éclairer la réalité" et renforcer les moyens

Au terme des travaux de la commission, c'est un ensemble de 26 recommandations qui sont émises par Dominique Potier. Celles-ci concernent, d'abord, le renforcement des efforts en matière de connaissance scientifique, de recherche et développement afin de mieux "éclairer la réalité", notamment par la "réalisation d'une étude prospective" sur l'eau dévolue à la consommation et en mettant en place plusieurs "plans de surveillance", notamment des sols et de l'air.

Le rapporteur appelle également à "augmenter le budget des agences sanitaires", à hauteur de 10 millions d'euros pour l'Anses, afin "de façon à leur permettre de remplir de manière satisfaisante leur mission d'évaluation des pesticides". Sont également recommandés la promotion de "politiques publiques en faveur de l'agroécologie", particulièrement via la commande publique et la restauration collective et le lancement d'une "réflexion en vue d'une harmonisation complète du régime d'autorisation" des produits phytosanitaires entre Etats membres de l'Union européenne.

Présenté et adopté à huis clos jeudi, comme le prévoit les règles concernant les commissions d'enquête, le rapport sera public jeudi 21 décembre.