Coronavirus : les députés tentent de lever le masque sur les stocks stratégiques

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Le directeur général de la santé, Jérôme Salomon. JOEL SAGET / AFP
par Jason WielsVincent Kranen, Maxence Kagni, le Mardi 16 juin 2020 à 16:59, mis à jour le Vendredi 19 juin 2020 à 14:17

Le directeur général de la Santé Jérôme Salomon a été auditionné mardi par la commission d'enquête de l'Assemblée sur la gestion de la crise épidémique. Pendant quatre heures, les députés ont cherché à comprendre si la France était oui ou non bien préparée. Éléments de réponse.

Comment est-on passé d'un stock d'État de près d'un milliard de masques chirurgicaux et de 500 millions de masques FFP2 en 2011 à seulement 115 millions de masques chirurgicaux juste avant le début de la crise épidémique ? La question a été au coeur de la première audition de la commission d'enquête sur la Covid-19. Les réponses de Jérôme Salomon, actuel directeur général de la Santé et ancien conseiller de la ministre de la Santé Marisol Touraine, interrogé et réinterrogé sur ce point sensible, ont cependant laissé les députés sur leur faim.

Qui a changé la doctrine ?

Le rapporteur Éric Ciotti (LR) a été le premier à demander au haut fonctionnaire de s'expliquer sur cette énigme : pourquoi une note de Santé publique France, qui préconisait dès septembre 2018 de retrouver un niveau élevé de masques, est-elle restée lettre morte ?

La recommandation semble d'autant plus fondée que Jérôme Salomon explique lui-même qu'il découvre en octobre 2018, dans la foulée de cette note, que les stocks étaient en "très mauvais état", selon un audit indépendant.

Le chiffre théorique de 754 millions de masques chirurgicaux disponibles alors fond comme neige au soleil :

Le directeur général de la Santé précise alors avoir commandé pour 100 millions de masques chirurgicaux. Pourquoi pas plus ?

Nous avions acté une évolution assez logique vers un stock dynamique, un stock tournant, un stock tampon. Nous considérions que laisser un stock dormant n'était pas forcément une bonne solution. Que ce stock devait servir et être régulièrement alimenté, pour qu'il n'y ait pas d'un seul coup l'ensemble qui soit périmé. Jérôme Salomon, le 16 juin 2020

Cette décision de vivre avec des réserves beaucoup plus réduites "a été actée dans le contrat d'objectifs et de performances entre Santé publique France et la ministre Agnès Buzyn", assure-t-il. "D'après ce que vous dites, il y a eu un changement de doctrine en 2018", relève alors Boris Vallaud (PS). Le député aurait aimé savoir si "elle a été coconstruite avec le secrétariat général de la Défense nationale" ou "validée par des instances politiques ou administratives".

Jérôme Salomon ripe ensuite dans sa réponse, expliquant qu'un "stock tournant n'était pas une bonne idée", avant de se corriger :

Finalement, la seule certitude chiffrée qu'ont pu obtenir les députés est, comme le déduit Éric Ciotti, qu'aucune commande de masques chirurgicaux n'a eu lieu pendant 14 mois par l'État :

"Personne n'avait imaginé" l'arrêt de la Chine

Sur les masques professionnels (ou FFP2), la doctrine est plus clairement établie. Dès 2016 le stock stratégique tend vers 0, car "une évolution consensuelle des experts" a conduit "à réduire les stocks". En parallèle, les hôpitaux et les entreprises ont été incités à constituer leurs propres stocks.

Des réserves toutefois bien maigres en situation de crise, les soignants pouvant consommer jusqu'à "40 millions de masques par semaine", a rappelé Éric Ciotti. 

C'est en fait la Chine qui devait servir de planche de salut face à une pandémie, en permettant à la France de se fournir rapidement et massivement en masques grand public et professionnels. Sauf que ce scénario a été totalement battu en brèche par la Covid-19, qui s'est déclarée au sein des frontières chinoises. Ce qui a à la fois paralysé la production du pays et lui a fait revoir ses priorités commerciales.

"Personne n'avait imaginé" ça, justifie Jérôme Salomon :

En attendant Agnès Buzyn

Au centre de la commission d'enquête, la question des responsabilités au sommet de l'État est donc posée. David Habib (PS) estime que les propos de Jérôme Salomon "placent un certain nombre de personnes devant leurs responsabilités", évoquant sans jamais la nommer Agnès Buzyn, partie du ministère de la Santé au début de la crise épidémique. Celle qui dit réserver sa parole pour le Parlement sera auditionnée début juillet par les députés.

"Notre objectif n'est pas de juger mais de comprendre", a fait valoir Brigitte Bourguignon (LaREM). Mais devant le besoin de "préciser certaines réponses", la présidente de la commission d'enquête a prévenu : "On aura peut-être l'occasion de vous auditionner de nouveau. Nous ne faisons que commencer."

>> Revoir l'audition de Jérôme Salomon :