Financement de l’enseignement privé sous contrat : un rapport parlementaire préconise de mieux évaluer et contrôler la dépense publique

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Commission des affaires culturelles et de l'éducation, le 2 avril 2024
Christopher Weissberg (Renaissance) et Paul Vannier (LFI) présentent le rapport de la mission d’information sur le financement public de l’enseignement privé devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation, le 2 avril 2024 - LCP
par Soizic BONVARLET, le Mardi 2 avril 2024 à 19:15, mis à jour le Mardi 2 avril 2024 à 19:35

Le rapport de la mission d’information sur "le financement public de l’enseignement privé sous contrat" a été présenté, ce mardi 2 avril, à la commission des affaires culturelles et de l'éducation. A l'issue des leurs travaux, les co-rapporteurs Christopher Weissberg (Renaissance) et Paul Vannier (La France insoumise) dressent le constat d'un financement "peu transparent".

Ce sont environ deux millions d’élèves, soit près de 17 % de l'effectif national, qui, regroupés au sein de 7 500 établissements, sont scolarisés dans l'enseignement privé sous contrat avec l’Etat.

Une réalité qui a été particulièrement mise en lumière à l'occasion de la polémique relative à la scolarisation au Collège Stanislas des enfants de l'ancienne ministre de l’Education nationale, Amélie Oudéa-Castéra. Au-delà du cas personnel de la ministre des Sports, c'est la problématique de la concurrence entre enseignement privé et public, ainsi que de l'égalité des chances, au regard des financements de l’Etat et des collectivités locales qui avait alors été ravivée, quarante ans après la "guerre scolaire" ayant opposé les partisans de "l'école libre" au gouvernement de Pierre Mauroy.

Alors que l'école privée est à nouveau sur le devant de la scène, le rapport issu de la mission d'information sur "le financement public de l’enseignement privé sous contrat", menée par Paul Vannier (La France insoumise) et Christopher Weissberg (Renaissance), formule 55 propositions pour améliorer la transparence et le mode de financement public dédié au privé. Si 27 de ces recommandations sont communes, 28 sont édictées à titre individuel par chacun des deux rapporteurs.

Mettre fin à l'opacité financière

Dénonçant l'"obsolescence" et "la dérive d'un système mis en place il y a plus de 65 ans" - en référence à la loi Debré qui avait institutionnalisé l'enseignement privé -, Paul Vannier (La France insoumise) a indiqué, devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation, avoir constaté à la faveur des travaux de la mission "une culture de l'évitement qui pousse, par peur d'un procès en guerre scolaire, les acteurs à l'auto-censure". En dépit d'un manque de transparence, le député LFI a également évoqué une dépense publique en faveur du privé qui "monte en flèche", avec des crédits du budget de l’Etat qui seraient passés "de 7 à 9 milliards en 10 ans", et "certaines collectivités [qui] battent des records". "En Ile-de-France, Valérie Pécresse a augmenté de plus de 450% le montant des dépenses d'investissement qu'elle consacre aux lycées privés depuis 2016", a-t-il ainsi déclaré. 

Aucune administration publique ne chiffre exactement la dépense consacrée chaque année par l’État et les collectivités territoriales aux établissements privés sous contrat (...) 10, 11 ou 12 milliards ? Nul ne connaît le montant précis de la dépense publique consacrée aux établissements privés chaque année. Paul Vannier (LFI)

Paul Vannier a également dénoncé un dialogue de gestion "en dehors de tout cadre légal" entre l’Etat et les réseaux d'établissements catholiques, protestants, musulmans, juifs, laïques ou de langues régionales. "L'existence d'un dialogue de gestion avec le représentant direct d'un culte - je veux rappeler que le secrétaire général de l'enseignement catholique est nommé par la conférence des évêques de France -, constitue pour moi une atteinte à l'article 2 de la loi de 1905 qui prévoit que l’Etat ne reconnaît aucun culte", a estimé de le député. Si ce dernier préconise la suppression de ce dialogue de gestion dans sa forme actuelle, Christopher Weissberg (Renaissance) souhaite, quant à lui, le "formaliser", afin notamment de "définir et encadrer" le rôle des réseaux d'établissements.

Parmi leurs propositions communes, les co-rapporteurs suggèrent "l’élaboration d’un document budgétaire annuel, ou 'jaune budgétaire', retraçant tous les montants bénéficiant aux établissements d’enseignement privés sous contrat". Ils souhaitent également "normer et rendre public le modèle d’allocation des moyens de l’Etat aux académies pour le financement des établissements privés, en faisant apparaître les différents critères".

Pénaliser le non-respect de l'objectif de mixité sociale

Certaines des mesures formulées dans le rapport diffèrent cependant en fonction de l'un ou l'autre des co-rapporteurs. Sur la question de l'effort prodigué par les établissements privés pour favoriser la mixité sociale, Christopher Weissberg propose de "prévoir une disposition explicite dans le code de l’éducation permettant aux collectivités territoriales de moduler les montants du forfait d’externat en fonction de la mixité sociale", quand Paul Vannier, pour remédier à la "ségrégation socio-scolaire", préconise plus largement d'instituer un "malus", afin de "pondérer l’allocation des moyens de l’État et des collectivités territoriales aux établissements privés en fonction d’un indicateur de mixité".

Les co-rapporteurs proposent, en revanche, d'une même voix de "mettre en place un contrat d’objectifs et de moyens contraignant, renouvelé tous les trois à quatre ans" en matière de mixité sociale, en y inscrivant également les obligations d’application des politiques du service public de l’éducation, et les sanctions associées en cas de leur non-respect. Des sanctions qui pourraient aller jusqu’à la rupture du contrat, Paul Vannier (LFI) évoquant en l'état actuel des choses, une "possibilité très théorique de [cette] rupture".

"Nos recommandations à destination du privé sont vaines si nous ne faisons pas évoluer le système public pour renforcer son excellence et son attractivité", a par ailleurs plaidé le député de la majorité présidentielle, Christopher Weissberg. "Plus le public sera attractif et valorisé, moins le privé en profitera, plus l'équilibre se fera", a-t-il aussi fait valoir.

Si le rapport a été adopté par la commission, autorisant de ce fait sa publication, des voix se sont faites entendre pour en dénoncer le constat et les remèdes. "Veut-on raviver la guerre scolaire ?", a ainsi interrogé Roger Chudeau (Rassemblement national), dénonçant un "rapport à charge", quand Annie Genevard (Les Républicains) a indiqué avoir été "très choquée par ce rapport", en raison d'un "biais idéologique" à l'encontre "de l'enseignement privé catholique".

"Nombre des recommandations de ce rapport ne devraient susciter aucun clivage entre nous, ce sont des principes de bonne gestion publique", a répondu Christopher Weissberg (Renaissance) aux contempteurs du rapport, tandis que Paul Vannier (Renaissance) a espéré qu'il "contribue à maintenir, contre toutes les tentatives pour le refermer, le débat sur le financement public des écoles privées ouvert".