Influenceurs : vers une loi pour lutter contre les arnaques et les dérives

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par Léonard DERMARKARIAN, le Dimanche 26 mars 2023 à 14:33, mis à jour le Mardi 28 mars 2023 à 22:50

L'Assemblée nationale examine cette semaine une proposition de loi transpartisane, adoptée en commission et appuyée par le gouvernement, pour réguler le "marketing d'influence", tandis que des acteurs du secteur appellent à ne pas "sur-légiférer".

"Lutter efficacement contre les trop nombreuses dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux", sans cependant "stigmatiser les créateurs de contenus" : telle est la ligne de crête sur laquelle tentent d'avancer les députés Arthur Delaporte (Socialistes) et Stéphane Vojetta (apparenté Renaissance), co-rapporteurs d'une proposition de loi transpartisane visant à "lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux"

Entre la prise de conscience des pouvoirs publics de la nécessité d'agir sur le sujet, l'affrontement entre le rappeur Booba et la "papesse des influenceurs" Magali Berdah (voir ici ou ), et le dépôt de plaintes pour "escroquerie" et "abus de confiance" par des collectifs de victimes d'influenceurs, le "marketing d'influence" a récemment connu une exposition médiatique et politique inédite.

Articles, enquêtes, débats ont mis en lumière un secteur qui a connu ces dernières années un essor fulgurant, notamment sur les réseaux sociaux. Via Youtube, Instagram et Tiktok, ce sont près de 150 000 personnes en France qui proposent différents types de contenus (humour, jeux vidéos, sport, cuisine, mode, politique...), fidélisant une audience susceptible d'être ciblée par des marques dans le cadre d'opérations commerciales, faisant parfois fi de certaines obligations éthiques et légales.

"Faire converger les différentes initiatives" de régulation

Après le dépôt de premières propositions de loi à l'initiative de différents groupes parlementaires à l'automne, l'Assemblée nationale a examiné en février dernier, pour la première fois en séance publique, une proposition visant à réguler le secteur. Débattue lors de la journée d'initiative parlementaire du groupe "Socialistes", elle avait été retirée par son rapporteur Arthur Delaporte, sans avoir été intégralement examinée, mais en prenant date en vue d'un texte transpartisan.

Depuis le mois dernier, la proposition a été peaufinée par groupe de travail transpartisan, des échanges avec le Ministère de l'Economie et des Finances, ainsi qu'un déplacement en Espagne, en pointe sur le sujet (voir ici ou ). Par ailleurs, pour alimenter la réflexion des députés, deux tables-rondes avec des acteurs du secteur, notamment avec le collectif d'aide aux victimes d'influenceurs (AVI) et l'Union des métiers de l'influence et des créateurs (UMICC), ont eu lieu mardi 21 mars à l'Assemblée. 

A l'issue de ces travaux, Arthur Delaporte estime que l'adoption de la proposition de loi, qui sera examinée cette semaine dans l'hémicycle, peut permettre de "faire converger les différentes initiatives" de régulation du secteur venant du Parlement et du gouvernement. Objectif : mettre fin à "la loi de la jungle" en protégeant les consommateurs et les créateurs de contenu qui font leur travail "de manière responsable".

"Un texte qui responsabilise, pédagogique, mais qui sanctionne aussi"

En commission des affaires économiques, les co-rapporteurs Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta, ont défendu un "texte qui responsabilise, pédagogique, mais qui sanctionne aussi". Le texte propose aussi bien une définition de "l'activité d'influence commerciale par voie électronique" qu'une interdiction de la promotion de certains types de biens et services (cryptomonnaies, chirurgie esthétique, jeux d'argent et de hasard), ainsi que la mise en place de sanctions financières et pénales (deux ans d'emprisonnement, 30 000 euros d'amende).

C'EST l'intérêt de l'immense majorité des influenceurs et créateurs de contenus. Je parle de cette immense majorité, celle qui a un comportement responsable, respectueux des règles, qui ne mérite pas de voir son image polluée par une minorité irresponsable ou carrément malhonnête. Stéphane Vojetta, député (apparenté Renaissance) 

La création du cadre de régulation passe également par la contractualisation des activités et la définition du métier d'agent d'influenceur et par un renforcement de la responsabilité des plateformes pour lutter contre les dérives et les arnaques. Des campagnes de sensibilisation sur le sujet sont également prévues par la proposition de loi amendée en commission, ainsi qu'un rapport que le gouvernement devra remettre au Parlement d'ici six mois, afin d'évaluer la mise en œuvre par l’État des moyens administratifs et humains nécessaires pour lutter contre les dérives du marketing d'influence, une activité commerciale redéfinissant progressivement les comportements des consommateurs.

Au-delà du caractère transpartisan de la proposition de loi, son examen en commission a fait apparaître des différences d'appréciation. Faisant part de son scepticisme, le groupe "Rassemblement national" a ainsi dénoncé une volonté de régulation ressemblant à "un voeu pieux faute de moyens coercitifs concrets", selon Christine Engrand.

Tout en soulignant la qualité du travail transpartisan mené par les co-rapporteurs et en affirmant le soutien de son groupe à la proposition de loi, le président du groupe "Gauche démocrate et républicaine", André Chassaigne, a insisté sur la nécessité de renforcer les moyens de l’État pour lutter contre les arnaques et les dérives, alors que les effectifs de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) auraient été réduits, selon ses chiffres, d'un quart en quinze ans.

Au terme de l'examen en commission, 34 amendements ont été adoptés : la majorité provient des co-rapporteurs, tandis qu'un tiers provient des groupes de la majorité. Deux amendements du groupe "La France insoumise", un amendement du groupe "Socialistes" et un amendement du groupe "Les Républicains" ont également été adoptés.

Soutien de Bercy, réticences des acteurs du secteur

Parallèlement aux initiatives parlementaires, l'examen du texte dans l'hémicycle cette semaine correspond également à l'aboutissement de plusieurs actions menées par le gouvernement sur le sujet. Si le ministère de la Santé, de la Prévention et des Solidarités est mobilisé sur le sujet, c'est le ministère de l’Économie et des Finances qui, sous l'impulsion de Bruno Le Maire, est le chef de file sur le sujet.

Après avoir mené une consultation publique sur le sujet au début de l'année, Bercy a présenté, vendredi 24 mars, des mesures rejoignant celles portées par la proposition de loi transpartisane afin de mettre de l'ordre dans un "Far West numérique", selon les mots de Bruno Le Maire. Sans attendre l'issue de la proposition de loi transpartisane, Bercy a mis en ligne un "guide de bonne conduite" à destination des influenceurs et créateurs de contenus, détaillant notamment les droits et les devoirs des acteurs en la matière, ainsi que des préconisations pour "devenir un influenceur responsable".

Appuyée par le gouvernement, la proposition de loi transpartisane ne recueille pourtant pas l'assentiment de l'ensemble des acteurs du secteur : contrairement aux collectifs d'aide aux victimes d'influenceurs, plutôt favorables à l'initiative, les tables-rondes menées la semaine dernière à l'Assemblée ont permis à Carine Fernandez, présidente de l'Union des métiers de l'influence et des créateurs de contenu (UMICC), d'appeler à ne pas "sur-légiférer" à propos d'un secteur en constante évolution, qui "[pèse] presque un milliard d'euros en France aujourd'hui".

Selon l'avancée des textes la précédant à l'ordre du jour de l'hémicycle, la proposition de loi pourrait être examinée par les députés à partir du mardi 28. Son adoption constituerait une première étape en matière de régulation du marketing d'influence.