Le boom de l'enseignement supérieur privé à but lucratif s'accompagne de "dérives préoccupantes", alerte un rapport parlementaire

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Estelle Folest Béatrice Descamps LCP 10/04/2024
Estelle Folest (Démocrate) et Béatrice Descamps à l'Assemblée nationale, le 10 avril 2024 (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 10 avril 2024 à 15:43, mis à jour le Vendredi 12 avril 2024 à 16:05

Escroqueries, litiges financiers, formations peu qualifiantes... A l'issue de leur mission d'information sur "l’enseignement supérieur privé à but lucratif", Béatrice Descamps (LIOT) et Estelle Folest (Démocrate) appellent à réguler le secteur. Dans un rapport présenté ce mercredi 10 avril, les deux députés alertent sur des abus facilités par un cadre juridique obsolète et des contrôles insuffisants. Elles formulent 22 recommandations pour y remédier. 

Pas moins de 25 % des étudiants relèvent de l'enseignement supérieur privé ; et parmi eux, environ une moitié sont dans un établissement privé à but lucratif - ce qui représenterait un étudiant sur dix. "Environ", car ce secteur "largement méconnu" souffre d'un manque d'informations et de statistiques flagrant, constatent les députées Béatrice Descamps (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) et Estelle Folest (Démocrate), au terme d'une mission d'information de sept mois sur "l'enseignement supérieur privé à but lucratif", au cours de laquelle elles ont réalisé une quarantaine d'auditions.

Dans leur rapport adopté à l'unanimité par la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, ce mercredi 10 avril, les deux élues dressent le portrait d'un milieu gangrené par des pratiques douteuses, qui prospèrent en profitant d'un "cadre juridique obsolète" et de contrôles limités. Depuis les années 2010, et encore davantage depuis 2019, le "boom" de l'enseignement supérieur privé à but lucratif, nourri par la hausse du taux de réussite du baccalauréat, le manque de formations post-bac et le développement de l'apprentissage, a favorisé l'émergence de "dysfonctionnements, faillites, escroqueries qui laissent nos étudiants sur le carreau", a déploré Estelle Folest devant la commission.

Au point de provoquer la colère des acteurs vertueux du secteur, qui n'hésitent pas à qualifier leurs confrères peu scrupuleux de "margoulins" et "d'officines", a témoigné Estelle Folest. Les torts reprochés vont de litiges financiers par rapport aux coûts de la scolarité, jusqu'à des cas de pure et simple escroquerie, en passant par des informations mensongères sur le contenu des formations, sans compter les faillites au milieu de l'année universitaire. Ces "dérives certaines" et "préoccupantes" témoignent "de l’absence de régulation du secteur privé lucratif" et d’une "protection insuffisante de l’étudiant-consommateur", soulignent les deux députées.

Nous ne pouvons pas accepter que nos jeunes risquent d'acheter des formations à des entreprises peu scrupuleuses échappant à tout contrôle, et qui sont susceptibles de recevoir des subventions. Estelle Folest (Démocrate)

Dans leurs recommandations, Béatrice Descamps (LIOT) et Estelle Folest (Démocrate) appellent notamment à renforcer les contrôles diligentés par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), à alourdir les sanctions et les assortir de la publication des noms des formations sanctionnées. Elles proposent également de mettre en place un médiateur dédié au secteur de l'enseignement supérieur privé à but lucratif, qui permettrait à l'étudiant d'y avoir recours en cas d'escroquerie, de faillite, de tout problème grave.

Un manque de "lisibilité et de transparence"

Constatant le manque de "lisibilité et de transparence" du paysage de l'enseignement supérieur, qui s'est notoirement complexifié ces dernières années du fait de la multiplication des offres et des formations, les deux rapporteures plaident pour une clarification, en menant en premier lieu un travail de cartographie et une mission portant sur le modèle économique et managérial de ces établissements, confiée aux inspections compétentes (IGAS, IGESR, IGF). 

"Ont fleuri à côté de la licence et du master, qui sont réglementés, un nombre importants de diplômes non réglementés", a également pointé Béatrice Descamps, qui a cité le bachelor" ou encore le "mastère". Afin de tarir cette source de "confusion pour les étudiants", les élues appellent à rationaliser les différentes terminologies, et à distinguer clairement les diplômes reconnus par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Par dessus-tout, elles jugent nécessaire de renforcer la lisibilité de Parcoursup, la plateforme d'orientation post-bac. En 2024, cette dernière recensait 24 000 formations, dont certaines relevaient de l'enseignement supérieur privé à but lucratif. Les deux élues appellent à exclure de la plateforme les formations n’ayant pas fait l’objet de contrôles garantissant des qualités pédagogiques.

Ce dernier point figure d'ailleurs également parmi les préconisations du rapport : mettre en place une évaluation pédagogique des formations initiales post-bac du secteur, sous l'égide du ministère. "Nous sommes arrivés à un marché de la formation qui échappe aux règles du marché", a déploré Estelle Folest. Pour contraindre les acteurs peu scrupuleux, les élus proposent de conditionner les aides à l'apprentissage à une évaluation de la formation proposée. Et Béatrice Descamps de conclure : "Les jeunes ne doivent pas être leurrés, et l’Etat non plus."