Lutte contre le séparatisme : la cheffe du renseignement territorial déplore les "limites" du droit existant

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Un brassard de policier (illustration)
Un brassard de policier (illustration)
Florent Julliard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
par Raphaël Marchal, le Vendredi 15 janvier 2021 à 09:03, mis à jour le Mardi 26 janvier 2021 à 11:33

Auditionnée ce vendredi par les députés de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi "confortant le respect des principes de la République", Lucile Rolland a pointé les limites des procédures de fermetures de lieux de culte ou d'expulsions du territoire national. La cheffe du service central du renseignement territorial a également dépeint le paysage des "séparatismes", qui ne se limite pas à l'islamisme.

Sa parole est rare, sa présence médiatique inexistante. Femme de l'ombre, Lucile Rolland s'est pourtant révélée volubile devant les députés de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi "confortant le respect des principes de la République". La cheffe du service central du renseignement territorial (SCRT) a notamment pointé du doigt les "limites" que rencontrait son service pour lutter contre le "séparatisme" et le repli communautaire. "Les outils existent, mais ne sont pas directement orientés vers la lutte contre le séparatisme. Ils ne peuvent pas prendre en compte la totalité du phénomène", a déclaré la policière, regrettant de ne pas pouvoir "agir de la façon la plus optimale."

Du fait de sa nature, le SCRT, service de renseignement rattaché à la direction générale de la police nationale, dispose majoritairement d'outils administratifs. Créé en 2014, ce service mixte, composé de policiers et de gendarmes, est focalisé sur l'analyse de mouvements protestataires ou de dérives pouvant menacer l'ordre public et sur le "bas du spectre", c'est-à-dire la surveillance d'individus connus défavorablement des services mais qui ne sont pas considérés comme des objectifs prioritaires. À ce titre, il est complémentaire de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Fermeture des lieux de culte : un outil trop "restrictif"

Première limite constatée par la cheffe du SCRT, la capacité actuelle de procéder à la fermeture de lieux de culte. Les services s'appuient pour l'heure sur l'article L227-1 du code de la sécurité intérieure, introduit par la loi "Silt" de 2017. Seulement, ce texte est "trop restrictif", selon Lucile Rolland. Seule la fermeture d'un lieu de culte (à l'exclusion des lieux de réunion attenants), est possible, et uniquement dans le but de prévenir la commission d'actes terroristes.

En tant qu'établissements recevant du public (ERP), les lieux de culte peuvent également faire l'objet d'une fermeture administrative si le préfet estime, par exemple, que leur vétusté met en danger la santé des personnes. Cette disposition est également mise en œuvre afin de fermer des lieux "séparatistes". "On ne détourne évidemment pas la loi. On ne profite pas de la réglementation sur les ERP, mais on ne s'interdit pas non plus d'utiliser ces outils", a reconnu Lucile Rolland.

À l'heure actuelle, nous ne pouvons pas fermer un lieu de culte uniquement si un prêcheur déclare que 'les juifs sont des porcs' ou que 'les homosexuels méritent la lapidation'. Lucile Rolland, cheffe du service central du renseignement territorial

Un constat qui vient renforcer la nécessité du projet de loi confortant les principes républicains afin de mettre fin à ce déséquilibre juridique. Il prévoit en effet, au sein de son article 44, un régime de fermeture administrative dès lors qu'un lieu de culte – ou les locaux qui en dépendent – abrite des agissements de nature à troubler gravement l’ordre public en provoquant "à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes". De quoi lutter plus efficacement contre les lieux où se prêche un islam radical. Ces derniers sont d'ailleurs "très minoritaires", selon l'inspectrice générale. Sur les 2 400 lieux de culte musulmans recensés sur le territoire, moins d'une centaine sont considérés comme "ne respectant pas les valeurs de la République".

Une dissolution d'associations limitée

De manière similaire, la dissolution d'associations ou de groupements de fait, jugée également trop restrictive, doit être élargie aux critères de troubles à l'ordre public via l'article 8. "Nous avons affaire à des gens qui apprennent très vite à s'adapter aux mesures qui sont prises. Cela fait bien longtemps que nous n'entendons plus, lors des prêches, des discours qui font ouvertement l'apologie du terrorisme", a expliqué Lucile Rolland. Cette adaptation a également été constatée au sein des mouvements d'ultradroite et d'ultragauche.

Nous n'avons pas affaire à des gens inculte, mais à des gens qui s'adaptent très vite. Lucile Rolland, cheffe du service central du renseignement territorial

Depuis 2014, le SCRT a appelé à la dissolution de huit associations islamistes, dont sept sur la base des contenus mis en ligne sur Internet. Le service s'est également attelé à la dissolution d'associations d'ultradroite, sur la base de leurs discours de provocation à la haine.

Enfin, la cheffe du SCRT a pointé des "entraves" similaires concernant le gel des avoirs, également orienté vers la lutte contre le terrorisme, et a expliqué la difficulté de procéder à des expulsions du territoire pour les imams Français ou binationaux, la déchéance de nationalité étant particulièrement complexe à mettre en œuvre.

Le paysage des séparatismes

Au cours de son audition, la policière s'est également attachée à dresser le portrait des diverses tendances susceptibles de menacer les valeurs de la République. Elle a évidemment évoqué le séparatisme islamiste, indiquant que "dans certains quartiers, il est devenu difficile pour un commerce qui n'est pas hallal de s'installer". Mais elle a aussi tenu à modérer son propos.

Je ne peux pas dire que tous les tenants du séparatisme islamiste sont des suppôts du terrorisme. Ce serait caricatural et presque complètement faux. Lucile Rolland, cheffe du service central du renseignement territorial

Pour Lucile Rolland nombre d'atteintes aux valeurs de la République se font aussi par le truchement de contestations de nature politique et sociétale. Elle a ainsi mis en garde contre la "contestation qui monte contre l'État et toutes les formes de pouvoir", matérialisée par des manifestations "de plus en plus violentes". Une caractéristique qui se retrouve "des deux côtés de l'échiquier politique", à l'ultradroite comme à l'ultragauche.

La cheffe du SCRT a par ailleurs insisté sur le rôle joué par Internet et les réseaux sociaux dans l'embrigadement et dans la mobilisation. "Les algorithmes des réseaux sociaux sont des pièges : dès lors que vous commencez à vous intéresser à un sujet, ils vous proposent systématiquement tout ce qui a un rapport avec ce sujet." Dangerosité supplémentaire : les réseaux sociaux "nivellent" les prises de parole : "La parole d'un quidam vaut celle d'un expert, celle d'un expert ne vaut plus rien."