Quick commerce : vers une "régulation proportionnée" pour un "marché de niche" ?

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par Léonard DERMARKARIAN, le Mercredi 3 mai 2023 à 13:15, mis à jour le Jeudi 4 mai 2023 à 10:28

Corapportée par les députées Maud Gatel (Démocrate) et Anaïs Sabatini (Rassemblement national), la mission d'information sur le "quick commerce" dresse une cartographie prudente de ces formes émergentes de livraison express. Les corapporteures préconisent de renforcer les contrôles et de réfléchir à leur insertion dans le tissu urbain, jugée lacunaire.

A quelle vitesse des évolutions technologiques peuvent s'implanter dans les pratiques commerciales d'une société, dans quelle proportion et à quel prix ? Quelles actions doivent mettre être mises en œuvre face à des mutations rapides ? C'est à ces questions que se sont attachées à répondre les députées de Paris Maud Gatel (Démocrate) et de Perpignan Anaïs Sabatini (Rassemblement national), membres de la commission des affaires économiques et corapporteures d'une mission d'information sur le quick commerce.

Développé par des start-ups depuis les années 2010 et ayant connu un essor significatif lors de la pandémie de Covid-19, le quick commerce consiste à livrer ou récupérer en moins d'une demi-heure des courses, principalement alimentaires, après une commande effectuée via Internet. Il prend généralement trois formes maillant le territoire des grands centres urbains français - les drive piétons, les dark kitchens (restaurants sans clients) et les dark stores (magasins sans clients), qui permettent la récupération ou la livraison rapide, en une trentaine de minutes, de commandes de particuliers espérant un gain de temps.

Parce qu'il offre facilement une diversité de plats ou de produits alimentaires toujours plus large grâce à un marketing agressif, le quick commerce est perçu autant comme une opportunité économique majeure que comme une menace pour l'identité urbaine et commerciale des centres-villes. Les collectivités territoriales, exposées en première ligne et initialement attentistes, tentent désormais de trouver la parade, entre interdiction, régulation et négociation (voir ici).

C'est dans ce contexte que s'est déroulée la mission d'information parlementaire sur le quick commerce, menée par les députées Gatel et Sabatini depuis le mois de novembre 2022. Elles ont présenté ce matin les conclusions de leur rapport en commission des affaires économiques.

"Une offre commerciale nouvelle au potentiel de développement incertain"

Le rapport, consulté par LCP, retrace d'abord les récentes évolutions d'un secteur ayant vu un nombre croissant d'acteurs spécifiques mettre la clef sous la porte face à un manque de rentabilité : neuf il y a encore un an, il subsiste deux mastodontes aujourd'hui, Flink et Getir, à la santé financière fragile. Le rapport pointe aussi l'insertion, entre concurrence et complémentarité, d'autres acteurs de l'ubérisation (Uber Eats, Deliveroo) et l'émergence de nouveaux acteurs comme les enseignes de la grande distribution (Carrefour, Casino) qui souhaitent s'y implanter.

Selon les corapporteures, cette profusion d'acteurs ne masque pas le fait que "la viabilité du quick commerce prête à débat" : en effet, cette activité présente actuellement un "caractère foncièrement déficitaire" en France, à l'image du leader Flink qui, dans son rapport d'activité de l'année 2022, indique n'être toujours pas rentable.

Alors que les articles de presse s'accumulent pour pointer une menace existentielle sur les centres-villes, le rapport relativise l'influence des mutations provoquées par le quick commerce, en indiquant que "la diffusion du quick commerce ne concerne aujourd'hui que les tout premiers centres urbains du pays, à commencer par Paris et sa banlieue". Le rapport nuance également l'importance de cette mutation, en indiquant que le quick commerce représente davantage "un marché de niche", appelé à stagner à court-terme et pouvant être complémentaire de pratiques d'achat déjà existantes.

A ce stade, rien ne permet d'établir que l'implantation d'opérateurs du quick commerce entraîne nécessairement la fermeture de commerce ou la réduction de leur clientèle. Rapport de la mission d'information parlementaire sur le quick commerce

Nécessité d'une "régulation proportionnée"

Après l'audition de 87 personnalités (universitaires, représentants d'acteurs économiques du secteur, élus locaux, représentants syndicaux et patronaux), le rapport dresse un état des lieux du secteur, de ses acteurs et des évolutions potentielles. Il préconise ensuite, à travers 24 recommandations, une "régulation proportionnée et une intégration [du quick commerce] au tissu économique et social" des villes françaises.

En commission des affaires économiques ce matin, Anaïs Sabatini (Rassemblement national) et Maud Gatel (Démocrate) ont respectivement souligné "l'avenir incertain" du secteur qui concerne particulièrement les grands centres urbains français (Paris, Lyon), et mis en valeur plusieurs problématiques, notamment en matière de nuisances sonores et environnementales affectant la qualité de vie en ville.

Constatant que "les statistiques et les connaissances disponibles ne permettaient pas d'appréhender toutes les implications du développement en France de services de livraison express", les corapporteures appellent conjointement à un "[renforcement de] l'expertise mise à la disposition des pouvoirs publics et des acteurs du commerce". Est notamment proposé la création d'un "observatoire chargé du suivi des évolutions de commerce de la livraison express et des implications de son développement."

Sur 24 propositions émises, 22 font consensus entre les corapporteures. Elles concernent l'ensemble des domaines affectés par le quick commerce, du droit du travail (conventions collectives, respect du repos dominical, sanctions contre le travail illégal) à l'urbanisme (logisitique, esthétique urbaine) en passant par les questions environnementales (recyclage, lutte contre le gaspillage, économie circulaire) et le "coût réel" des livraisons.

Les deux propositions reflétant un désaccord concernent, d'abord, la question du renforcement des zones à faible émission-mobilité (ZFE-m). Pour Maud Gatel (Démocrate), la mise en place des ZFE-m dans les métropoles peut permettre d'"inciter les acteurs du secteur de la livraison à utiliser les véhicules les moins polluants" ; un avis non partagé par la corapporteure Anaïs Sabatini (Rassemblement national), qui estime "que les ZFE n'offrent pas un instrument approprié et appelle d'ailleurs à leur suppression."

La régularisation des travailleurs sans-papiers en débat

L'autre point de désaccord concerne la régularisation des travailleurs sans-papiers, travaillant souvent de manière déguisée en tant qu'auto-entrepreneurs, par la sous-location de comptes (voir notamment notre reportage réalisé il y a quelques mois par Thibault Henocque ici). Selon le rapport, les personnes dépourvues de titre de séjour représenteraient "jusqu'à 70% des effectifs employés" - une situation pouvant s'apparenter à de la "traite d'êtres humains", pour Maud Gatel. 

Si la députée Démocrate estime que certaines situations de livreurs sans-papiers "présentent aujourd'hui toutes les garanties de l'intégration" et appelle à une révision de la circulaire Valls pour favoriser la régularisation de travailleurs sans-papiers en situation de pouvoir l'être, Anaïs Sabatini (Rassemblement national) considère au contraire que le bien-fondé d'une régularisation de ces derniers "prête à débat" et que celle-ci doit être examinée dans le cadre d'un projet de loi portant sur l'immigration.

La question de la régulation des plateformes pourrait continuer à être au coeur de l'actualité politique française et européenne : le Parlement européen a récemment adopté une directive européenne visant à "établir une présomption de salariat", tandis que le gouvernement a pris un arrêté en mars 2023 offrant une nouvelle classification des entrepôts logistiques de quick commerce.

Après ce rapport d'information sur le quick commerce appelant à de nouvelles actions en la matière, le Parlement français pourrait prochainement légiférer pour réguler le secteur - soit à travers un texte législatif spécifique, soit à travers les différents projets de loi que le gouvernement espère présenter dans les prochains mois, notamment relatif à l’immigration.