Retraites et RIP : la deuxième procédure peut-elle aboutir ?

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Illustration Conseil constitutionnel et RIP
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 19 avril 2023 à 18:59, mis à jour le Vendredi 21 avril 2023 à 08:38

Alors que la première demande de référendum d'initiative partagée (RIP) concernant l'âge légal de départ à la retraite a été retoquée le 14 avril par le Conseil constitutionnel, une deuxième mouture a été transmise à l'institution. Toujours à l'initiative des parlementaires de gauche, ces derniers font d'ores-et-déjà preuve de prudence quant à l'appréciation des Sages, qui sera dévoilée le 3 mai prochain.

Après une première tentative infructueuse, la deuxième sera-t-elle la bonne ? Dans sa décision relative à la première demande de RIP qui lui a été adressée par les parlementaires de gauche, le Conseil constitutionnel a estimé "que ne porte pas sur une 'réforme' relative à la politique sociale de la nation, au sens de l’article 11 de la Constitution, la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans". L'institution a ainsi considéré que les termes du RIP contenaient une portée normative trop limitée pour changer l'état actuel du droit.

Une nouvelle procédure à la formulation enrichie

Avant même que les Sages de la rue de Montpensier n'aient statué sur leur première mouture, les parlementaires de gauche ont anticipé une issue peu favorable la concernant, et ont déposé dès le 13 avril une nouvelle demande. Celle-ci devant passer par une proposition de loi, le nouveau texte dispose que "l'âge d’ouverture du droit à une pension de retraite (...) ne peut être supérieur à 62 ans", respectant une formulation similaire à la première version, tout en étant doté d'un article supplémentaire relatif au financement du système par répartition. Il s'agit en l'occurrence, selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, d'engager "la contribution significative des revenus du capital à la pérennité financière" dudit système.

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"Il convient d'assujettir les plus-values sur titres, rachats d'actions et dividendes à des contributions d'un montant similaire aux cotisations salariales sur les retraites, et d'en prévoir l'affectation directe au système de retraites", est-il aussi indiqué dans le nouveau texte, à des fins de justice sociale, mais également pour engager une "réforme substantielle des principes de financement de notre système de retraite". Autrement dit, par l'ajout de cet article 2, les parlementaires de gauche espèrent que leur texte sera cette fois jugé comme respectant le caractère réformateur exigé d'une telle proposition de loi, selon les termes de l'article 11 de la Constitution.

Des "espoirs raisonnables" de voir la nouvelle demande aboutir

Si Arthur Delaporte (Socialistes), co-signataire de la proposition de loi qui en cas de validation par le Conseil constitutionnel pourrait être soumise aux électeurs par référendum, espère que l'article de financement pourra faire la différence, le député constate cependant "qu'il n'y pas d'empressement de la part du Conseil constitutionnel à valider des procédures de RIP".

On avance en tâtonnant sur une procédure pour laquelle il n'y a qu'un seul précédent, mais il ne semble pas y avoir d'empressement de la part du Conseil constitutionnel à valider des demandes de RIP. Arthur Delaporte, député "Socialistes et apparentés"

Le député n'hésite pas à parler, concernant la première demande, d'"un quasi-renversement de jurisprudence", voire d'"un acte d'autorité" de la part des Sages. Il fait ainsi valoir que si le Conseil constitutionnel, qui a considéré que les termes du premier texte ne répondaient pas au critère de "réforme", avait appliqué la même logique concernant ADP, la procédure de RIP n'aurait pas pu être validée, car "on ne faisait que consacrer le droit existant". Seule demande de RIP ayant passé avec succès l'épreuve du Conseil Constitutionnel, mais n'ayant pas recueilli le nombre de signatures citoyennes requises pour aboutir à la votation, la proposition de loi visait à "affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris (ADP)".

Le professeur de droit public à la Sorbonne, Paul Cassia, considère lui aussi que la décision des Sages relative à la première demande de RIP constitue "un revirement de jurisprudence". Interrogé par LCP le 4 avril dernier, le constitutionnaliste, tout en ayant anticipé un risque inhérent à la notion de "réforme", avait considéré que la proposition de loi, à la lumière de l'avis favorable qui avait été donné concernant ADP, aurait dû pour les mêmes raisons être validée.

"On avance en tâtonnant sur une procédure pour laquelle il n'y a eu qu'un seul précédent", concède Arthur Delaporte, qui fait part de ses "espoirs raisonnables" quant à l'issue de la deuxième demande. "Il y a un sujet dont le président de la République n'a pas parlé lors de son allocution télévisée de lundi soir, et c'est celui d'une réforme qu'il avait promise sur le RIP", note-t-il par ailleurs. "Le RIP met en forme une forme de démocratie mixte, à ce stade inapplicable", regrette le député, qui relaie par ailleurs les critiques liées au mode de désignation et à la composition du Conseil constitutionnel. Des éléments qui selon lui, "peuvent faire que le Conseil constitutionnel protège plus que de droit le gouvernement, et la continuité de l'action publique".

C'est également l'avis de Paul Cassia, qui, dans une contribution extérieure adressée au Conseil constitutionnel, constate que les deux décisions rendues le 14 avril, "donnent complète satisfaction à l’exécutif en renforçant ses prérogatives". Pour ce qui est des chances d'aboutir de la deuxième demande de RIP relative à l'âge légal de départ à la retraite, le constitutionnaliste fait valoir que l'article 1er de la nouvelle proposition de loi "visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans", "en fixant un plafond contraignant (...) change l'état du droit", et répond donc à la définition juridique du terme "réforme". Paul Cassia note par ailleurs que "cette formulation est conforme aux dispositions de l'article 40 de la Constitution, en ce que l'adoption de la proposition de loi RIP - dont au demeurant un financement ad hoc est prévu à l'article 2 - n'aurait pas par elle-même pour conséquence d'aggraver une charge publique".

Sur la recevabilité calendaire de la proposition de loi - un RIP ne pouvant pas avoir pour objet d'abroger une loi promulguée depuis moins d'un an -, les Sages devraient se référer au moment où ils ont été saisis, soit la veille de la promulgation de la réforme des retraites.

L'idée d'une troisième demande "qui avait pu germer" selon Arthur Delaporte, avec une formulation encore infléchie, a en revanche été tuée dans l’œuf par cette même promulgation. Si la deuxième demande était invalidée, les parlementaires devraient désormais attendre un an pour éventuellement déposer une nouvelle procédure de RIP.