Souveraineté énergétique : 30 propositions pour "donner un destin énergétique à la France"

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par Maxence Kagni, le Jeudi 6 avril 2023 à 08:00, mis à jour le Mardi 11 avril 2023 à 14:31

Les députés Raphaël Schellenberger (Les Républicains) et Antoine Armand (Renaissance) présentent, ce jeudi 6 avril, les conclusions de la commission d'enquête sur la souveraineté énergétique de la France. Le rapport critique notamment le bilan du quinquennat de François Hollande en matière de nucléaire et propose de suspendre le mécanisme de l'Arenh en attendant une réforme du marché européen de l'électricité. 

C'est le récit d'une "divagation politique, souvent inconsciente et inconséquente, qui nous a éloignés et de la transition écologique et de notre souveraineté énergétique". Raphaël Schellenberger (Les Républicains) et Antoine Armand (Renaissance) dévoilent ce jeudi, lors d'une conférence de presse, le rapport de la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France". Ce rapport de 400 pages qui formule 30 propositions a été adopté par les membres de la commission la semaine dernière. 

"Assumons-le : souvent, nous sommes passés de l'incompréhension à la surprise, jusqu'à la consternation", écrit d'emblée le rapporteur Antoine Armand. Lancée en octobre 2022 à l'initiative du groupe Les Républicains, la commission d'enquête, présidée par Raphaël Schellenberger, a notamment auditionné plusieurs anciens PDG d'EDF, d'anciens ministres, des représentants syndicaux, ainsi que Nicolas Sarkozy et François Hollande et l'actuelle Première ministre, Elisabeth Borne

"Inconscience" et "électoralisme"

Ces trois dernières décennies, la France a accumulé un "retard considérable en termes de souveraineté énergétique", écrit Antoine Armand. "La période de la fin des années 1990 au début des années 2010 constitue comme une décennie perdue", explique le rapporteur. Pendant cette période, les "fragilités" françaises, comme la dépendance aux énergies fossiles ou le faible développement des énergies renouvelables thermiques, se sont "accrues". 

C'est l'histoire du lien souvent défaillant, parfois même inexistant, entre expertise scientifique et technique, instruction des dossiers et décision politique. Extrait du rapport

Antoine Armand épingle une partie des "responsables publics" auditionnés, qui "semblaient réaliser l'ampleur des conséquences" de leurs actions. Le député Renaissance fustige également les "responsables publics qui ont mené un combat politique avant tout contre le nucléaire", un "combat d'une remarquable hypocrisie, qui allait et qui va encore clairement contre les intérêts vitaux du pays".

Le rapporteur évoque également des décisions "souvent partielles ou différées, voire contradictoires", "prises à l'envers" et qui "ne semblaient trouver leur source que dans des maux profonds : l'inconscience et l'électoralisme".

Le quinquennat Hollande pointé du doigt

Antoine Armand met, par exemple, en cause le "programme commun du Parti socialiste et des Verts" qui "prévoyait explicitement", au début des années 2000, un "moratoire sur la construction de réacteurs nucléaires". Critiquant aussi le bilan des gouvernements de Lionel Jospin (juin 1997-mai 2002), le député Renaissance dénonce la fermeture du réacteur Superphénix en 1997.

Mais le rapport pointe surtout du doigt le quinquennat de François Hollande, qui a "aggravé lourdement la situation", à commencer par la loi "de transition énergétique pour la croissance verte" de 2015 qui constitue un "contre-exemple de politique énergétique". Le texte fixait notamment un objectif de 50% de nucléaire dans le mix énergétique en 2025.

Ce pourcentage est la "traduction" de "l'ambition politique annoncée lors de la campagne présidentielle" de 2012, lors de laquelle le Parti socialiste et Europe Ecologie-Les Verts avaient noué une alliance. Selon Antoine Armand, le chiffre de 50% était un "objectif quantitatif d'inspiration politique mais dépourvu de fondement scientifique ou technique". 

Le gouvernement semble en avoir été conscient à l'époque mais il a, en connaissance de cause, choisi de persévérer. Extrait du rapport

François Hollande avait rappelé lors de son audition que l'objectif des "50%" n'avait pas de force contraignante. Mais, écrit Antoine Armand, la loi de 2015 "a sans conteste adressé un signal destructeur à un moment crucial sans pour autant déclencher d'accélération suffisante des énergies renouvelables". Selon le rapporteur, le gouvernement de l'époque avait été informé que la réalisation des objectifs visés par le texte n'était "pas impossible, mais apparaissait peu probable voire présentait un risque".

Le fermeture de Fessenheim critiquée

La loi "de transition énergétique pour la croissance verte" de 2015 a également plafonné la production nucléaire à 63,2 GW : "Cette mesure relève, elle aussi, d'une décision politique et symbolique prise en dehors de toute logique énergétique", indique le rapporteur.

Cette décision qui, peut-on lire, a fait prendre à la France "un risque inutile pour la sécurité d'approvisionnement énergétique du pays" avait, selon le rapport, un objectif : "Fermer une centrale", en l’occurrence celle de Fessenheim. Le choix de la centrale alsacienne s'explique par une "autre promesse faite par le candidat François Hollande, qui figurait aussi dans l'accord politique préparé par Martine Aubry et Cécile Duflot en 2011".

Cependant, après la décision prise par François Hollande, c'est lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, en 2018, que cette décision a été confirmée et c'est en juin 2020 que la centrale de Fessenheim a effectivement été fermée. Une décision que déplore Antoine Armand : "Le rapporteur ne peut que regretter [ce choix] au regard de la production décarbonée que les deux réacteurs de la centrale auraient été sans doute été en mesure d'apporter sur plusieurs décennies encore."

Il n'était pas impossible de lancer les études et travaux préalables à la quatrième visite décennale. Extrait du rapport

Réformer le marché européen de l'électricité

Parmi les six erreurs stratégiques françaises pointées par le rapport, figure le manque de réaction de l'Etat vis-à-vis des conséquences négatives des règles du marché européen de l'énergie. La France a "laissé se construire depuis 20 ans un cadre qui a fragilisé le modèle énergétique français et EDF". 

Antoine Armand, qui se définit comme "profondément pro-européen", estime qu'il faut réformer "dans l'année et en profondeur" le marché européen de l'énergie. Il propose par exemple de "décorréler le prix du gaz de celui de l'électricité décarbonée". L'élu préconise aussi de "défendre le patrimoine hydroélectrique et électronucléaire" français, c'est-à-dire de refuser la privatisation des barrages français

Dans la ligne de mire du rapport, le très décrié dispositif de l'Arenh, en vigueur depuis juillet 2011. Introduit par la loi "portant nouvelle organisation du marché de l'électricité" (NOME) de 2010, il a permis l'ouverture à la concurrence du marché de la production d'électricité, conformément à une directive européenne. L'Arenh impose à EDF de vendre une partie de son électricité à ses concurrents à un prix fixé par avance, à savoir 42 euros le mégawatt-heure.

Le dispositif, qui a été défendu par Nicolas Sarkozy lors de son audition, a été qualifié de "poison" par d'anciens PDG d'EDF. Il est en partie responsable de l'affaiblissement de l'entreprise française, selon un rapport parlementaire de 2021.

L'Arenh, cette pilule empoisonnée, a très sérieusement remis en cause le business model d'EDF. Audition de Pierre Gadonneix, ancien PDG d'EDF.

L'Arenh est d'autant plus critiquable, selon Antoine Armand, qu'elle n'a pas défini pour les fournisseurs alternatifs "un minimum d'obligations productives en contrepartie d'un dispositif très avantageux et peu contraignant". Le rapporteur propose de suspendre de l'Arenh "le temps de négocier la réforme" du marché européen de l'électricité. 

Un besoin en électricité "sous-évalué"

Plus globalement, le rapporteur estime que la France doit se "doter d'une ambition énergétique pour les 30 prochaines années au moins" avec une loi de programmation "étayée scientifiquement et industriellement".

Il plaide pour "refaire de la filière nucléaire la grande force française" en préparant notamment "le remplacement complet du parc" et en "relançant activement des programmes d'ampleur sur la 4e génération". Le rapporteur juge nécessaire d'"assumer un besoin croissant d'électricité".

Arrêter une position européenne commune et durable pour définir l'énergie nucléaire comme une énergie décarbonée et stratégique. Proposition 6

Concernant les problèmes rencontrés par les centrales nucléaires françaises (fissures, corrosion sous contrainte), le rapport préconise de demander à EDF de produire publiquement un "état des lieux précis et prospectif" des mesures prises. Autres propositions : "soutenir le renforcement des capacités d'enrichissement sur le territoire français" et étendre les capacités d'entreposage du combustible usé à La Hague.

Antoine Armand souhaite également lancer un "plan d'installation contraignant de certaines sources d'énergies renouvelables sur le territoire". Le rapporteur évoque la nécessité "d'accélérer le déploiement des sources renouvelables électriques jugées les plus rentables d'un point de vue énergétique" et d'installer 50 parcs éoliens offshore. Pour cela, il faut, écrit le député, continuer de simplifier "des procédures et délibérations qui ne permettront pas de répondre à l'urgence climatique".

Le plan de sobriété énergétique de l'hiver 2022-2023 devra également être "pérennisé et accru" en l'étendant à "l'ensemble des particuliers, des services publics et des entreprises". Enfin, le rapport propose de lancer un "nouvel inventaire minier sur le sol français" avec la perspective d'ouvrir, éventuellement, des mines de métaux rares en France.

S'agissant de l'EPR de Flamanville, le rapport indique que "rétrospectivement, la décision de construire ce nouveau modèle est apparue précipitée, le design n'étant pas encore finalisé". Il reprend les conclusions du rapport de Jean-Martin Folz sur la construction de l'EPR, qui avait jugé en 2019 "irréaliste" l'estimation initiale du projet et une gouvernance "inappropriée".