Troubles du voisinage : un texte pour tenter de limiter les litiges, notamment à la campagne, définitivement adopté par le Parlement

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Le texte a notamment pour objectif de contribuer à limiter les conflits de voisinage, notamment à la campagne où les plaintes de néo-ruraux contre des agriculteurs sont de plus en plus nombreuses. © Pexels
Le texte a notamment pour objectif de contribuer à limiter les conflits de voisinage, notamment à la campagne où les plaintes de néo-ruraux contre des agriculteurs sont de plus en plus nombreuses. © Pexels
par Léonard DERMARKARIAN, le Lundi 8 avril 2024 à 21:47, mis à jour le Lundi 8 avril 2024 à 22:15

A l'issue d'un ultime vote de l'Assemblée nationale le Parlement a définitivement adopté, ce lundi 8 avril, la proposition de loi visant à "adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels". Concrètement, l'objectif du texte - qui était présenté par le groupe Renaissance - est d'encadrer et de limiter les conflits de voisinage, notamment entre néo-ruraux qui s'installent à la campagne et exploitants agricoles, alors que les litiges se sont multipliés ces dernières années.  

 

Chant du coq, odeur du fumier, poussières soulevées par une activité agricole... Acter les troubles du voisinage dans la loi, pour mieux les encadrer et limiter les contentieux, tel est l'objectif de la proposition de loi "visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels", portée par Nicole Le Peih (Renaissance), qui a été définitivement adoptée par le Parlement, ce lundi 8 avril, suite à la validation par l'Assemblée nationale de l'accord qui avait été trouvé avec le Sénat en commission mixte paritaire.

Après la loi dite "du coq Maurice", ce texte pend acte de la multiplication des litiges entre des citadins, venant s'installer à la campagne et portant des affaires en justice, contre des agriculteurs installés là bien avant eux. Pour répondre à cette situation, la proposition de loi consacre dans le code civil le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage, posé par la jurisprudence, tout en l'assortissant de limites.

Soutenu par les groupes de la majorité présidentielle - Renaissance, Démocrate, Horizons -, le texte a reçu le renfort des groupes Rassemblement national, Les Républicains et LIOT. Il a en revanche été critiqué par la gauche qui s'est divisée au moment du vote, les députés présents pour le groupe Socialistes, ainsi que pour le groupe Gauche démocrate et républicaine, votant "pour", tandis que les députés présents pour les groupes La France insoumise et Ecologiste ont voté "contre" (détail du scrutin à consulter ici). 

Présentant le texte à la tribune, la rapporteure Nicole Le Peih (Renaissance) a défendu un "dispositif de bon sens" permettant d'être "à l'écoute de nos territoires" : "Ce texte doit apporter de la visibilité à nos concitoyens en codifiant une jurisprudence et en inscrivant dans le Code civil à la fois le principe et son exception".

Concrètement, le texte introduit dans le Code civil la définition des "troubles anormaux du voisinage", une expression forgée par la justice française à travers plusieurs décisions, notamment dans l'affaire du "coq Maurice", faisant désormais jurisprudence. Celle-ci a établi un principe : en cas de plainte pour trouble anormal du voisinage (excès de bruit, odeurs, etc.), la responsabilité de son auteur peut être écartée, notamment si le trouble pré-existait à l'installation de la personne s'estimant lésée - une "responsabilité sans faute", selon la rapporteure et députée du Morbihan.  

Au-delà des conflits de voisinage à la campagne, les dispositions prévues doivent également permettre de régler des différends de voisinage dans les grandes villes, notamment entre les "dark stores" et leurs riverains, qui supportent un certain nombre de nuisances. 

"Vivre ensemble respectueux de chacun" ou "gage pour les industriels polluants" ? 

La commission mixte paritaire, qui a permis d'aboutir à un accord entre députés et sénateurs avant validation de cet accord par les deux Chambres, a consacré le cadre général prévu par la proposition de loi initiale présentée à l'Assemblée, mais a aussi maintenu plusieurs apports du Sénat. Ainsi, si le compromis issu de la CMP consacre un cadre général relatif aux troubles anormaux du voisinage, provenant de tous types d'activités, il prévoit en outre un cadre dérogatoire pour les activités agricoles en cas de modification "substantielle" de ces dernières - une "exonération à la fois protectrice des exploitations agricoles et respectueuse du droit de leurs voisins au recours", avaient plaidé les rapporteures du texte lors de la commission mixte paritaire.

Quelques semaines après la colère du monde agricole face à un enchevêtrement de normes et des difficultés croissantes à vivre de leur métier, les débats dans l'hémicycle ont revêtu une tonalité particulière. Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, représentant le gouvernement sur les bancs de l'Assemblée, a ainsi jugé "ubuesque que certains, dérangés par le bruit des tracteurs et des moissonneuses, s’attaquent à ceux qui nous nourrissent alors même qu’ils avaient connaissance de l’environnement dans lequel ils s’installaient". Et de se féliciter d'une loi qui "définit les contours de ce fameux vivre-ensemble, respectueux de chacun".  

Même tonalité de la part de Victor Habert-Dassault (Les Républicains) qui a salué un texte permettant de "désamorcer" les conflits et de "désengorger" les tribunaux, tandis que Stéphane Rambaud (Rassemblement national) a salué l'inscription de la jurisprudence dans la loi. Au contraire, Thomas Portes (La France insoumise) a vu dans cette proposition de loi un "gage pour les industriels polluants" et accusé la majorité et le gouvernement d'"alimenter la caricature d’un face-à-face entre des agriculteurs présumés victimes et des néoruraux présumés dangereux".

Après avoir été largement adopté au Sénat, le texte issu de l'accord trouvé en CMP a été adopté par 46 voix "pour" et 7 voix "contre" par l'Assemblée nationale, ce lundi 8 avril. Désormais définitivement adoptée par le Parlement, la loi va pouvoir être promulguée par le président de la République et entrer en vigueur.