Prix de l'électricité nucléaire : nouvel accord entre l'Etat et EDF, l'opposition s'inquiète pour le pouvoir d'achat

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Luc Rémont, lors de son audition à l'Assemblée nationale, le 13 décembre 2023. LCP
Luc Rémont, lors de son audition à l'Assemblée nationale, le 13 décembre 2023. LCP
par Maxence Kagni, le Mercredi 13 décembre 2023 à 19:59, mis à jour le Mercredi 13 décembre 2023 à 20:17

Le PDG d'EDF, Luc Rémont, a présenté, mercredi 13 décembre, aux députés de la commission des affaires économiques l'accord conclu en novembre entre son groupe et l’Etat sur les prix de l'énergie nucléaire, rendu possible par une évolution voulue par la France au niveau européen. Plusieurs députés d'opposition ont fait cependant part de leur scepticisme, évoquant leurs craintes à propos d'une éventuelle hausse des prix.

"Il nous fallait inventer quelque chose de nouveau parce que le système dans lequel nous sommes depuis 2012 était à bout de souffle." Mercredi matin, le président-directeur général d'EDF Luc Rémont était auditionné par la commission des affaires économiques. Le PDG de l'énergéticien français a présenté aux députés les contours de l'accord conclu en novembre entre le gouvernement et EDF sur le nouveau mécanisme de régulation des prix de l'électricité d'origine nucléaire. Il doit succéder au décrié Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), grâce à une évolution obtenue par la France au niveau européen. 

Devant les parlementaires, Luc Rémont a loué un accord qui "responsabilise" EDF "en tant qu'entreprise" : "[Il] nous permet d'investir si nous sommes bons." De leur côté, plusieurs députés ont évoqué leurs craintes pour le pouvoir d'achat des Français, alors que le mécanisme actuellement en vigueur disparaitra le 31 décembre 2025.

Vers la fin de l'Arenh

Le président de la commission des affaires économiques, Guillaume Kasbarian a présenté les trois objectifs de l'accord : 

  • le maintien de la compétitivité de l'industrie française,
  • une "stabilisation" des prix pour les ménages,
  • le maintien de la "capacité d'EDF à poursuivre ses développements et investissements".

Avec le nouveau dispositif, le prix de vente de référence pour l'électricité d'origine nucléaire sera fixé autour de 70 euros le mégawattheure (MWh) en 2026, contre 42 euros dans le mécanisme actuel. En effet, avec l'Arenh, en vigueur depuis juillet 2011, EDF était contraint de vendre une partie de son électricité à ses concurrents à ce tarif très bas. Un dispositif qui avait été jugé "pernicieux", "absurde" et "monstrueux" par plusieurs anciens PDG d'EDF, lors de leur audition à l'Assemblée nationale, fin 2022.

La fin programmée de l'Arenh et l'entrée en vigueur du nouvel accord permettront de "couvrir de façon soutenable l'ensemble des coûts" du parc nucléaire d'EDF et devront lui permettre d'investir dans la construction des six nouveaux réacteurs promis par l'exécutif, a expliqué à l'AFP le ministère de la Transition écologique. EDF pourra "investir à nouveau pour être capable d'assurer une fourniture pérenne d'électricité", a précisé Luc Rémont mercredi. 

"Plus protecteur" pour les ménages

Le nouvel accord sera également "plus protecteur" pour les ménages que l'a été l'Arenh en cas de hausse des prix, a affirmé le président d'EDF.  "L'apparence de protection que donnait l'Arenh sur les prix de l'électricité (...) n'était pas suffisante face à un phénomène tel que celui que nous avons rencontré depuis 2022, qui est une explosion généralisée des prix de marché consécutive à la guerre", a expliqué Luc Rémont. 

Avec le nouvel accord, si les prix de l'électricité augmentent sur les marchés, une part des revenus supplémentaires obtenus par EDF devront donc "être redistribués directement aux clients".

Deux seuils sont fixés : 

  • si les prix dépassent 78 à 80 euros le MWh : "50% des revenus excédentaires seront captés par l’État pour être redistribués au client", explique Luc Rémont.
  • si les prix dépassent 110 euros le MWh : le part de redistribution sera de 90%.

Inquiétude sur les prix

Si le député Antoine Armand (Renaissance) a qualifié l'accord de "nécessaire", ce point de vue n'a pas été partagé par les députés d'opposition. "C'est toujours un mécanisme de marché", a regretté Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national), selon qui "aucune leçon n'a en réalité été tirée" de "l'erreur de considérer l'électricité comme un bien commercial ordinaire". Une analyse partagée par Matthias Tavel (La France insoumise) : "Depuis que l'électricité est gérée comme un bien marchand sur un marché ouvert à la concurrence, c'est simple, ça coûte plus cher et ça marche moins bien."

Le député a dénoncé une "fausse réforme de l'Union européenne, qui va continuer cette logique de marché et qui vise même à supprimer les tarifs réglementés de vente, à terme". "On reste fondamentalement dans une logique d'amendement du marché européen de l'électricité", a elle aussi regretté Delphine Batho (Ecologiste). "Je pense que la concurrence est bonne pour EDF, parce que ça nous aide à être bons", leur a répondu Luc Rémont.

Plusieurs députés d'opposition se sont montrés particulièrement inquiets pour le pouvoir d'achat des ménages français. En novembre, le ministre délégué chargé de l'Industrie Roland Lescure avait expliqué sur FranceInfo que le nouvel accord a pour "premier objectif" d'"éviter les pics de prix d'énergie qui ne sont pas liés à la production d'électricité en France". Avant toutefois de concéder que cela "va se traduire quand même par des hausses de prix de l'énergie, mais qui vont être limitées".

"Cet accord porte en lui les germes d'une augmentation forte des tarifs de l'électricité", a mercredi Matthias Tavel (LFI), tandis que Jean-Philippe Tanguy (RN) a dénoncé une "stratégie de prix élevés". "Vous n'avez pas beaucoup parlé du niveaux de prix que nos concitoyens paieront demain", a pour sa part regretté Jérôme Nury (Les Républicains). Le PDG d'EDF n'a pas su répondre avec précision à leurs questions : "Je ne sais pas exactement quel sera le prix à ce moment-là", a reconnu Luc Rémont, c'est-à-dire fin 2025, lors du passage d'un système à l'autre. 

"Nous allons créer les conditions d'un atterrissage des prix dont nos concitoyens auront le bénéfice aussi", a-t-il expliqué, évoquant "un lissage". "Nos concitoyens ont été fortement protégés par le contribuable sur l'année 2023", a également rappelé le PDG d'EDF, évoquant le bouclier tarifaire qui a été mis en place par le gouvernement pour limiter la hausse des prix de l'énergie. 

Relancé par le député communiste Sébastien Jumel (Gauche démocrate et républicaine), Luc Rémont a souligné que "l'Arenh avait réussi à accumuler les inconvénients du marché et de la régulation" : "J'espère que le nouveau dispositif va cumuler les avantages de ces deux mondes". Des considérations qui n'ont pas convaincu Benjamin Saint-Huile (Liot) : "On sortira d'ici sans être tout à fait rassurés sur ce que paieront les consommateurs demain."

"Nous abordons ce nouvel hiver avec beaucoup plus de sérénité"

Le président-directeur général d’EDF Luc Rémont a également rassuré les parlementaires sur l'approvisionnement en électricité pour l'hiver 2023-2024, qui débutera le 22 décembre. "Nous abordons ce nouvel hiver avec beaucoup plus de sérénité", a-t-il affirmé. EDF a désormais la "maîtrise" du problème de la corrosion sous contrainte qui a touché son parc nucléaire et bénéficie d'une "forte disponibilité de l'hydroélectricité". 

De plus, le "niveau de consommation électrique" des ménages "reste faible", s'est félicité Luc Rémont. "L'effort de sobriété est maintenu de la part de nos concitoyens à un niveau estimé de 8 à 9% par rapport aux consommations des années précédentes." L'ensemble de ces indicateurs permettent donc d'"aborder l'hiver avec sérénité".